Apple et Samsung viennent d’enterrer la hache de guerre. Une guerre qui aura duré près de trois ans et qui aura coûté au Coréen la coquette somme de 290 millions de dollars. Le tout pour une histoire de tablettes à « coins arrondis » ou encore de système « pincer pour zoomer ». Un « copyrighting » a priori irrationnel mais guère aberrant dans le monde des affaires.
Apple et Samsung, c’est l’histoire d’une haine cordiale, à coup de brevetage à tout va, de procès à la pelle, et d’amendes dantesques. Une guerre qui vient de prendre fin – du moins en apparence – puisque les deux constructeurs, embringués dans une bataille judiciaire sans fin pour une histoire de violation de propriété intellectuelle, viennent d’abandonner leurs poursuites mutuelles (sauf aux Etats-Unis). Un (semi-)dénouement qui remet au goût du jour un phénomène ubuesque et paradoxalement banal dans le monde industriel : le brevetage de masse.
Souvenez-vous : fin 2013, la justice américaine donnait raison à la marque à la pomme en estimant à 290 millions de dollars, la somme des dommages due par son concurrent asiatique. En cause, le brevet des « terminaux à coins arrondis » et celui du concept pinch to zoom » – comprenez « pincer pour zoomer » – déposés par Apple il y a plus de trois ans et validés par l’USPTO (United States Patent and Trademark Office). Certes la facture de 290 millions de dollars demeure inférieure aux 380 millions réclamés, à l’époque, par la firme de Cupertino, mais elle n’en reste pas moins lourde, surtout pour une histoire de concepts.
Apple n’est pas une exception
De quoi se demander si Apple n’abuse pas trop du brevetage… Et bien si la démarche du géant étatsunien peut, effectivement,sembler irrationnelle – quoi de moins particulier qu’un appareil à coins arrondis ? – elle ne serait pas une exception dans le milieu industriel, comme l’explique Alain Leclerc, avocat spécialiste du Droit de la propriété intellectuelle et industrielle : « Ce qui est protégé ici, c’est une forme. Ça peut être celle d’une bouteille, d’un bijou ou d’un jouet par exemple. On peut en discuter la pertinence, mais c’est très classique de faire ça ».
En effet, il ne s’agit là que d’un design patent, en l’occurrence un titre correspondant à un modèle, un schéma ou un dessin, et non d’un utility patent, un brevet d’invention qui, dans le cas présent, accorderait à Apple le monopole des produits de type « tablette ». Le dépôt de brevets « design » est notamment une pratique très courante dans le monde des affaires, y compris en France. « En 2011, 80.977 dessins et modèles ont été déposés, souligne ainsi Yves Lapierre, directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Cela montre très clairement qu’Apple n’est pas une exception : il y a énormément de dépôts. Il ne faut pas toujours penser que c’est n’importe quoi. Parfois, il faut voir que le design découle de très longues recherches, et il y a une vraie nouveauté apportée.»
Des royalties pour Apple ?
Une nouveauté qui, par ailleurs, ne priverait pas forcément les concurrents d’Apple de poursuivre la commercialisation de leurs produits. « Dans ce type d’affaires dans le passé, généralement le perdant peut continuer à vendre ses appareils, mais doit payer des royalties au gagnant, rappelle ainsi Me Leclerc. Et puis ce brevet ne donne pas de nouvel avantage à Apple car personne ne va s’aventurer aujourd’hui à reproduire une copie de l’iPad. » Certes, mais en attendant Samsung devra – et c’est une fatalité – revoir les « coins » de ses
Galaxy Tab, sinon il faudra encore passer à la caisse. Et dans un marché bouillant comme l’est actuellement celui des tablettes, l’industriel asiatique a beaucoup à perdre. Apple est aujourd’hui incontournable, avec une part de marché de près de 70%. Selon les données du cabinet International Data Conseil (IDC), sur 25 millions de tablettes vendues au deuxième trimestre 2012, 17 millions étaient des iPad. Avis à la concurrence…